Face au monde
Odile Deviras

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Face au monde


Dans la pénombre, il a l'air endormi, en réalité il rêve tout éveillé. Il n'aime pas
la froideur du monde dans lequel il vit, donc il a décidé que chaque nuit il
s'inventerait un monde tout à lui. C'est le soir de Noël, il est seul, ce monde
nouveau vient à lui, il le découvre. Il s'agit d'un souvenir d'enfance, lui,
petit garçon de 8 ans dans le potager familial où toutes les découvertes sont
merveilleuses. Par exemple cette fourmi qui court sur le dos de sa main et se
hâte pour rejoindre ses sœurs qui transportent de la paille ou un brin
d'herbe. Il dit à voix haute : « Un tamanoir ne ferait qu'une bouchée de
ce minuscule insecte. » Il aime bien ce mot : ta-ma-noir, son grand frère
lui avait montré le portrait de cet animal. Il se dit que ce pourrait être un
animal de compagnie, comme un chien ou un chat, puis il se souvient du mouton
du Petit Prince qui broutait dans sa boîte.

À ce moment-là une cacophonie de klaxons célébrant à minuit la Nativité le sort
de sa rêverie. Pendant un court instant il a du mal à retrouver le fil de son
songe :  « Tout à l'heure je pensais au mouton et il broute sûrement
toujours, dans sa boîte à trous. » mais alors instantanément les
bouclettes blanches le renvoient à ces matins de Noël où il trouvait sous le
sapin des peluches qui le ravissaient pendant quelques temps, enfin, peut-être
plus longtemps que ça, car il est vrai qu'on n'a jamais rien rendu au Père
Noël. Il sourit, déjà à 8 ans il laissait croire à sa maman, qu'il aimait le
plus au monde, qu'il croyait dur comme fer à ce gros bonhomme qui descend par
la cheminée, pose les cadeaux et retourne sur le toit rejoindre ses rennes près
de l'antenne télé. Ensuite le traîneau s'élève dans le ciel, y disparaît si
bien que seul l'index le repère quand les feux arrière se mêlent aux étoiles.

Peut-être est là un effet embellisseur du temps passé, tout y était serein, même quand je
jouais au soldat avec mon grand frère et ses copains, je tenais à faire preuve
de ma bravoure. Le jeune garçon que j'étais se disait qu'il fallait être
courageux pour gagner l'admiration de sa douce et tendre maman qui portait le
plus joli petit tailleur qu'on n'ait jamais vu, ce qui rendait jalouses toutes
les autres mamans. Je ne suis plus un enfant, je suis impressionné quand j'y
pense, maintenant je vois les choses à leur juste taille. L'enfance est la
source de tout, on y puise sa force, on y reconnait sa faiblesse. On est comme
le Maître Chat qui ose affronter l'ogre redoutable : « N'ai-je point la montagne
à ma botte ? » C'est ainsi qu'on se tient face au monde. Il s'agit
rarement de marquis ou de princesse, il est souvent question de dignité, de
sentiments forts, même d'ambition, cela reste toujours un défi à relever.

Il dort enfin. Il est le vainqueur du tournoi, la reine à tête de fourmi et le roi à tête de mouton lui remettent la récompense mais il n'a d'yeux que pour celle qui porte cet étrange petit costume ajusté à sa taille si fine, et qui lui envoie un baiser.

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©