Lettre à un agent immobilier
Lolo

Nous sommes le 13 Avril au matin mais sur la lande humide, c'est encore l'hiver. Les rideaux de brume ne se sont pas levés sur les eaux du loch qui baignent la
muraille nord. Mon époux lord Matthew est parti à l'aube à la chasse au renard.
Le son déchirant de son cor de chasse me parvient à peine, étouffé par le bruit
de la pluie qui tombe sans interruption depuis trois semaines.

Malgré le feu qui brûle dans la cheminée en granit aux armoiries des Mac Asson et les trois couvertures en laine de mouton qui m'enveloppent, je claque des dents. Comment mon mari peut-il survivre, vêtu seulement d'un kilt et d'une fine veste
de velours ? Pour feuilleter le magazine français qui publie vos annonces,
j'ai dû enfiler les mitaines en soie de ma belle-mère.

Je rêve de ciel bleu sans nuage et de chauffage central, d'un pays ensoleillé où
mon seul souci serait de choisir la marque du climatiseur et la maturité du
melon...

Cela fait maintenant trois heures que mon époux est parti achever le dernier renard de la région. Au breakfast, il était tellement excité qu'il n'a pas touché à sa
panse de brebis farcie. Pour montrer sa contrariété, la cuisinière va nous la
resservir tous les matins pendant une semaine. Dehors j'entends les ânes du
voisin qui braient insolemment, Matthew leur a pourtant interdit de traverser
le domaine depuis que ses animaux attirés par l'odeur ont mangé tout le foin de
nos bêtes.

Je rêve d'une ville énorme aux immeubles resserrés sur de grands boulevards
paralysés par la circulation humaine et automobile. Plus jamais de chevaux qui
galopent, d'ânes qui braient ou de carpes gluantes nageant entre deux eaux dans
des douves sans fond.

Ma main tremble de froid sur l'aiguille à broder et la laine de mon ouvrage est si
emmêlée que je n'arrive plus à la faire défiler.

Vous êtes mon seul espoir, le seul rayon de soleil possible dans mon ciel froid et
morne, vous et votre T4 de 74 m2 à double orientation est/ouest et chauffage à
basse consommation.