L'oeuf transfiguré
Louise Brogly

L'objet était d'un blanc pur et inaltérable, de forme ovoïde, s'enorgueillissant d'une multitude de couleurs toutes plus douces à mes yeux les unes que les autres. Posé à plat sur le marbre froid et noir de la cheminée il était un signe. Un signe de toi, comme une empreinte. Une réminiscence moirée de nos étreintes. Je l'avais toujours aimé, précurseur qu'il était de nos ébats pourpres et violets. Tu me l'avais offert il y a de cela fort longtemps, lors d'une de nos premières et brèves rencontres à l'hôtel A. Enveloppé dans un papier de soie bleu je m'étais plu à rêver qu'il se fut agi d'une lourde pierre serti, serment de notre amour naissant. Tu rias d'un rire cristallin devant ma mine dépitée...Quoi un œuf, blanc qui plus est ! Cela n'augurait rien de bon pour nos futures retrouvailles! C'était oublier que d'un rien tu pouvais faire un jeu, c'était oublier aussi le chapeau de melon noir et le grand miroir doré à pied ... Mais chut je ne divulguerais pas tous nos secrets... Juste je dirais que cet œuf blanc si anodin que nous surnommions ahhhhhhh! La coque en gloussant de plaisir, définissait la qualité de nos ébats. S'il demeurait de couleur opaline, nous restions sages et doux, un tantinet traditionnel, sans usage de monsieur le chapeau ni même de son compagnon le miroir. Il nous arrivait de pousser le bouton 'on' en fermant les yeux et de laisser le sort décider quelles couleurs allaient teinter nos émois! Cette fois là la couleur pourpre l'emporta. Cette fois là fut la dernière fois.... encore aujourd'hui je ne sais pas pourquoi. Cet objet d'un blanc si pur comme une empreinte inaltérable de toi chez moi, trône toujours sur le marbre noir de la cheminée.