Ile en elle
Krystine Franchino

Fragments ou nouvelles, récits ou poèmes, issus de multiples propositions, ces textes ont été écrits par les participants de mes ateliers d'écriture. Joyeuse lecture !

 

Ile en elle


Elle est usée mais encore très belle. Elle est seule, comme abandonnée. Il a fallu une île inhabitée, une étendue d’eau pour mettre des distances avec un passé trop lourd et douloureux. Elle fuit. Loin. Loin des hommes, loin des cœurs. Loin, pour s’anesthésier. Loin pour oublier. Loin pour faire taire cette sourde envie de suicide, cet appel irrésistible, destructeur et salvateur à la fois que pourrait être sa mort. Elle a besoin de temps pour reconstruire sa vie. Elle le sait : tenter de vivre à nouveau parmi les autres sera long, difficile et douloureux.
Cette île, c’est sa bouée de sauvetage dans le naufrage qu’était devenue sa vie. Elle le sait, elle le sent. L’avenir n’existe pas… enfin pas encore. Le passé est là, trop présent, trop envahissant, trop…Elle est encore sous la puissante emprise de la douleur. Il lui faut être, tout simplement et cela lui parait si compliqué. Il va falloir réapprendre le quotidien, s’apprivoiser pour s’aimer à nouveau. La tache est monstrueuse, anormale, titanesque. Tout est confus.
Hier, alors qu’elle déambulait sans but, elle a découvert une vielle cabane délabrée. Les planches sont disjointes, elle n’a plus de couleur, le toit s’effondre un peu, la porte n’existe plus, l’unique fenêtre a des carreaux cassés à force de battre au gré des rafales de vent. Elle en a l’intuition, cette cabane lui ressemble : abandonnée et à moitié détruite. A moitié seulement, car elle a remarqué que les murs semblent tenir le coup.
Un rayon du maigre soleil d’hiver est venu éclairer l’entrée du cabanon, et, subitement, elle se surprend à imaginer un intérieur chaleureux. Elle en a le désir. Tout se bouscule dans sa tête, les idées, les odeurs d’un feu de cheminée, les sons d’une ancienne chanson, les couleurs chaudes des murs. Tous ses sens qui n’osaient plus se manifester de peur de réveiller la sourde douleur, tous ses sens s’épanouissent comme une fleur au soleil.
Cette cabane, sa reconstruction, sera la thérapie qui la ramènera à la vie. Elle en a un besoin urgent maintenant. Ce sera son présent avant d’affronter son avenir. Pour cela elle sait qu’elle peut compter sur Antonio, le seul lien qu’elle ait conservé. Elle dépend de lui et de ses venues aléatoires et irrégulières pour survivre. Avec délicatesse, il lui apporte boites de conserves et légumes frais accompagnés d’un bout de crayon et de quelques feuilles de papier mais aussi un journal avec les nouvelles d’un mois, un petit miroir de poche, ces quelques attentions finissent par devenir l’évènement le plus important de sa visite. Antonio ne reste d’ailleurs, jamais bien longtemps, il est toujours pressé, le temps est si incertain « Mdame, y faut que j’rparte, vous comprenez ! » Leurs échanges sont simples et concrets. Bien éloignés de ce qu’elle a vécu. Tant mieux. Elle ne peut pas se risquer à s’exposer aux questionnements, le regard des autres lui est encore cruel. Seule compte sa petite cabane. Quand la porte sera posée, quand la fenêtre pourra fermer, voila son avenir proche : concret et solide.
La matinée est déjà bien entamée, l’air doux et agréable, pourtant la nuit a été longue et le sommeil réparateur difficile à trouver. Ses pensées tournent dans sa tête un peu lourde. C’est l’odeur qui la première attire son attention, une odeur qui lui rappelle la raison de sa venue dans l’île. Puis, très vite, elle aperçoit la fumée épaisse et enfin les flammes, là, au bout du chemin. Elle est tétanisée, figée et glacée, la vue de l’incendie débutant lui provoque une série de flashs rapides mais précis : Une voiture enflammée, des corps calcinés, des corps aimés réduits en cendre et elle, impuissante, terrible témoin de cette descente aux enfers. Tout son passé ressurgit, toute la douleur est ravivée par le feu là au bout du sentier qui mène à l’embarcadère. Choquée, elle est en train de revivre la perte de sa famille dans cet accident là bas dans cette autre vie. Alors, tel un supplicié, elle hurle sa douleur, elle crie son désespoir et sa rage. Qu’a-t-elle bien pu faire pour qu’elle soit poursuivit ainsi par le feu ? Pourquoi ? Pourquoi ?
C’est Antonio, le fidèle, qui l’a retrouvé à genoux et hagarde, le regard dans le vide et sans voix. Naviguant non loin de l’île, il avait aperçut de la fumée. En accostant, il avait entendu les cris d’une démente. L’incendie éteint, il avait pris délicatement cette pauvre femme dans ses bras pour la bercer, la rassurer. Le malheur, il le connaît, lui aussi l’a côtoyé. La mer et la solitude l’ont aidé. Il comprend. Depuis le début de leur rencontre, il avait compris la douleur, la souffrance et les blessures, la fuite aussi. Alors, doucement, il se mis à lui raconter l’histoire universelle de l’homme qui se reconstruit petit à petit malgré les traumatismes. Sa voix calmante et bienveillante apaisant pour un temps la crise, et n’osant pas bouger, ils s’étaient enfin regarder dans les yeux dans une communion allant bien au-delà des mots. Seule, elle n’était plus seule pour porter son lourd fardeau. Un homme usé, lui aussi, lui tendait une main secourable, et, elle venait de décider d’accepter ce cadeau.

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Isabelle Sarcey
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Crédit photos : Koryn Boisselier ©